CHAPITRE XVI

Occupation de Borleias, quarante-neuvième jour

— Tous les escadrons des opérations spéciales ont décollé, annonça Iella, haussant la voix pour couvrir le brouhaha de la salle de commandes.

— Contact, dit Tycho. Grands vaisseaux yuuzhan vong en approche, de l’autre côté de la planète.

— Le commandant Davip demande l’autorisation de quitter l’orbite pour attaquer l’ennemi avant qu’il arrive sur nous…

Wedge sourit.

— Forcément… Dites-lui non. Et transmettez-lui les détails de l’opération « Marteau de l’Empereur ».

— Ce sera fait.

Vaisseau-monde yuuzhan vong, orbite de Pyria

— Ils n’envoient pas leurs forces en orbite, dit Czulkang Lah au villip. Leurs vaisseaux lâchent quelques escadrons de chasseurs dans l’atmosphère.

Le villip qui avait l’apparence de son fils répondit :

— Ils sont donc avertis de notre attaque terrestre imminente.

— En effet. Il semble que nous n’ayons pas réussi à neutraliser tous leurs détecteurs à la surface.

— Je ne vous donnerai pas de conseils. Czulkang Lah les écrasera, même sans l’effet de surprise.

Czulkang Lah ne dit rien. Etre sincère reviendrait à admettre qu’il ignorait quelles surprises préparaient les infidèles. A avouer qu’il n’était pas certain de vaincre.

Une réponse embarrasserait le maître de guerre.

Après quelques instants de silence gêné, Tsavong Lah ajouta :

— Heureux combat.

 

L’Escadron Soleils Jumeaux prit position quelques kilomètres au nord du complexe de biotique, à une hauteur suffisante pour que les missiles sol-air des Vong mettent de longues secondes pour les atteindre. Les pilotes de Jaina, de nouveau au complet depuis que Pastav Rone était sorti d’une cuve bacta, attendaient calmement.

Les Chevaliers Sauvages étaient à l’est, l’Escadron Lune Noire à l’ouest et les Rogues au sud. D’autres escadrons lâchés par les destroyers les rejoignaient pour compléter le cercle défensif.

Jaina la pilote détestait attendre. Elle secoua la tête et devint Jaina la Jedi, pour qui la patience était un choix de vie.

Mais même ainsi, elle ne pouvait ignorer les pensées qui la hantaient.

La peur dont elle avait parlé à Leia était présente. Sous contrôle, mais présente. S’y ajoutait l’inquiétude… pour Jag, pour Kyp, pour ses autres pilotes, pour ses amis… et même pour Cappie.

Une inquiétude si claire, si évidente. Sans doute était-elle présente depuis que Jaina était revenue d’Hapès, mais elle s’était créée une telle carapace que le sentiment était étouffé.

La carapace avait maintenant disparu.

Etrangement, le sentiment ne lui déplaisait pas. Ces dernières semaines, Jaina n’était pas vraiment vivante – ni présente. Aujourd’hui, elle l’était. L’inquiétude, l’angoisse, la souffrance qu’elle ressentait lui affirmaient qu’elle était de retour parmi les vivants.

Certains auraient dit qu’il s’agissait d’émotions négatives… Jaina préférait les considérer comme un rappel de qui elle était et de son devoir.

La pensée flotta dans son esprit. Etait-ce une similitude avec les Yuuzhan Vong ? Leur désir de souffrance physique paraissait étrange, voire révoltant. Maintenant, Jaina le comprenait presque. La souffrance leur prouvait qu’ils étaient vivants.

— Très bien, se dit-elle. Je vais leur en donner de nouvelles preuves…

Son unité com bipa et la voix du chef contrôleur s’éleva dans le cockpit.

— Les coraux-skippers ont atteint le point de géosynchronicité. Les escadrons du Rêve Rebelle et du Lusankya passent à l’attaque.

Jaina se tendit, redevenant « Jaina la pilote ».

Elle se força à attendre. Il n’y en aurait pas pour longtemps.

 

— Intrusion détectée dans le quadrant ouest…

Le capitaine Reth aurait pu se passer de l’information. A deux kilomètres de son escadron, les dos géants de deux rakamats – les reptiles utilisés par les Yuuzhan Vong comme véhicules d’assaut terrestre et transporteurs de troupes – dépassaient du feuillage dense de la jungle.

— Ici Leader Lune Noire, dit-il. Je m’en charge. (Il passa sur la fréquence de l’escadron.) Lune Noire Deux à Huit, avec moi. Nous allons faire un premier passage pour voir. Neuf et Dix, créez un rideau de feu et encerclez-les.

Ses pilotes cliquèrent pour accuser réception des ordres. Pas de paroles inutiles.

Faisant frémir ses moteurs, il arrosa l’ennemi.

Jaina tira sur les rakamats qui avançaient vers leur position. Il y en avait trois, et leurs dos seuls étaient pour l’instant visibles.

Jag et Kyp l’imitèrent, mais leur feu fut avalé par des trous noirs. C’était pareil pour les autres pilotes de l’escadron, qui affrontaient deux autres bêtes. Jaina accéléra pour s’approcher des troupes ennemies.

— Leur protection est inhabituellement forte, commenta Jag. Ce sont des rakamats améliorés.

Ils survolèrent les monstrueux animaux, puis l’escadron fit demi-tour pour un nouveau passage. Cette fois, des salves de canons à plasma les accueillirent, sortant de la jungle.

— Ils ont des coraux-skippers au sol, annonça Piggy. Ils utilisent la jungle comme protection pour que nous ayons plus de mal à les repérer.

Jaina vira juste à temps pour éviter un jet de plasma.

— Que recommandes-tu ?

— De continuer comme nous faisons… Ou de les imiter.

— Intéressant. Piggy, prends les commandes de l’escadron. Jag et Kyp, suivez-moi.

Jaina s’éloigna de la zone de combat dans un large virage et reprit la direction du bâtiment de biotique.

 

— Soyez bref, commandant, dit Wedge à l’hologramme de Davip. Nous sommes un peu occupés ici.

— Monsieur, cette opération… Le Marteau de l’Empereur…

— Elle ne vous plaît pas ?

— Le plan lui-même me convient, monsieur. Il est… ingénieux. Et potentiellement très efficace. Mais… (David se raidit, n’appréciant guère ce qu’il allait dire.) Monsieur, je n’ai pas confiance en mon équipage. Il s’agit d’une manœuvre qui n’a pas été faite depuis vingt ans et… Monsieur, je commande beaucoup d’incompétents. Ils pourraient vous coûter la vie.

Wedge hocha la tête.

— Des incompétents… Je comprends. Je suis passé par là.

— Je ne sais pas pourquoi le haut commandement m’a envoyé un tel échantillonnage de ratés…

— Moi, je sais. Pour qu’ils se fassent tuer, ce qui débarrassera la flotte de tous les officiers à problèmes… comme vous. Et comme moi. (Wedge haussa les épaules.) Je maintiens mon ordre, commandant. Soit vous convainquez votre équipage de faire de son mieux. Dans ce cas nous survivrons… Soit vous échouez, et nous mourrons. Ecoutez-moi. Commander le Lusankya n’est plus une garantie de carrière. C’est un poste qui vous apportera aux mieux une retraite anticipée… Un sort que vous mériterez si vous n’apprenez pas à penser de manière créative. Que ce soit clair : le Lusankya sera votre dernier vaisseau, Davip, si vous ne réussissez pas aujourd’hui. D’autres questions ?

— Non, monsieur.

— Antilles, terminé.

Davip sortit de la salle et avança sur le pont qui surplombait la multitude d’officiers et de techniciens concentrés devant leur poste. Par la baie, il voyait l’espace. Les chasseurs et les coraux-skippers s’affrontaient juste hors de portée des armes du destroyer stellaire.

La surface de la passerelle était si propre, si brillante, si nette.

Comme l’esprit de Davip. Il voulait toujours que les choses soient propres et nettes.

C’était le problème. Peut-être lui fallait-il une certaine dose de chaos. Que les choses deviennent sales, sanglantes, confuses…

Il appela son officier tactique.

— Transférez sur mon poste les commandes d’une des batteries de turbolasers prévues pour l’opération « Marteau de l’Empereur ». Choisissez celle de l’officier qui a obtenu les plus mauvais résultats en simulation…

— A vos ordres, monsieur.

Plusieurs hommes levèrent la tête, étonnés. C’était la première fois, pensa David, qu’il donnait un ordre dont l’utilité n’était pas évidente à première vue.

Puis, il se tourna vers son officier des communications.

— Mettez-moi en contact avec tous les officiers désignés pour l’opération. J’ai besoin de leur parler. Tout de suite.

— Oui monsieur.

Une seconde plus tard, l’officier lui fit signe.

— Ici le commandant Davip, commença-t-il. Je prends personnellement les commandes d’un des postes de tir dévolus à l’opération « Marteau de l’Empereur ». Pendant la durée du processus, tout officier dont les scores seront inférieurs aux miens sera renvoyé. Il sera transféré sur la planète et affecté aux équipes de tri et de transport de cadavres. Il restera à ce poste pendant tout notre séjour sur Borleias, et aucune demande de transfert ne sera acceptée. Terminé.

Il fit un signe de tête à l’officier pour indiquer qu’il avait fini.

L’homme le regardait, ébahi. Davip s’aperçut que tous les officiers le fixaient comme s’ils venaient de s’apercevoir qu’ils étaient commandés par un bantha en uniforme.

Davip leur fit un grand sourire. Par la galaxie, s’il avait su combien il était amusant de surprendre ses subordonnés, il l’aurait fait depuis longtemps.

 

Les chasseurs de Kyp et de Jaina volaient à faible vitesse, juste au-dessus du sol de la jungle, en position perpendiculaire, leur répulseurs gémissant pour protester contre la tâche qui leur était assignée… Planer sur le côté, à quelques mètres d’une surface planétaire… En avançant, la proue arrachait des arbustes, des buissons et des plantes grimpantes, bref, tout ce qui se trouvait sur le chemin.

Ils n’étaient peut-être pas très discrets, mais au moins ils étaient invisibles du ciel.

Hors de vue, la griffe de Jag, deux cents mètres plus haut, accélérait doucement. Son vaisseau plus compact avait moins de problème à traverser le feuillage dense de la jungle.

Derrière la griffe, à environ quatre mètres, deux bombes furtives suivaient, liée par la Force au vaisseau de Jag. Le front de Jaina était couvert de sueur… Piloter à travers les arbres et contrôler les bombes en même temps demandait une intense concentration. Une fois de plus, elle envia les capacités de Kyp.

— Je suis dans un endroit à la végétation particulièrement dense, près du fleuve, annonça Jag. Ma visibilité est bonne. Si tu veux, tu peux poser les bombes derrière moi. Doucement.

Jaina s’exécuta, heureuse du répit.

— A quelle distance es-tu de l’objectif ?

— Tout près. Je les vois… à environ vingt mètres à bâbord. Deux groupes d’esclaves reptiliens escortent des coraux-skippers. Les skips avancent à un mètre du sol… Je pense qu’ils utilisent leurs trous noirs pour protéger les rakamats. Je vois seulement cinq vaisseaux, mais leur formation laisse penser qu’il y en a bien plus. Attends. (Jag se tut un moment. Il y eut un bruit d’explosion, puis un rire bref :) Un arbre vient d’essuyer le feu d’un de nos chasseurs.

— Essaye de ne pas te faire toucher pendant que tes boucliers sont baissés.

— Excellent conseil. Je n’y aurais pas pensé moi-même. Un instant…

— Qu’y a-t-il ?

— Un rakamat… A portée de tir. En tout cas, quelque chose de gros, qui se déplace en écrasant les arbres. Pour qui ?

— Je prends, dit Kyp.

— Parfait. Soulève ta bombe… Fais-la glisser de dix mètres sur le côté, puis baisse-la un peu. Ah… Je la vois. Très bien. Maintenant avance doucement… un peu vers la droite… pas autant… Stop ! Peux-tu reculer d’un mètre et dévier encore un poil sur la droite ?

— Ça ne marchera jamais, protesta Kyp. Je sens la végétation, mais je n’ai aucune notion des distances…

— Je sais comment faire, dit Jaina. Kyp, peux-tu diriger la bombe avec des mouvements de la main ?

— Oui, mais si je ne la vois pas…

Jaina sourit.

— Pose-toi et transfère le contrôle de tes systèmes à Jag.

— Très bien… Fait. Et maintenant ?

— Jag, utilise ta manette de pilotage comme s’il s’agissait d’un joystick et dirige les mouvements de la bombe avec. Kyp, garde ta main sur ta manette et laisse-toi guider… en faisant bouger la bombe en retour.

— Pas mal, dit Kyp, impressionné. C’est parti…

— Quel enthousiasme ! soupira Jag. Ce n’est pas toi qui es assis à quelques mètres d’une torpille à protons dirigée à l’aveugle… Mais d’accord, c’est parti…

Jaina posa son chasseur, se redressa sur son siège… et croisa les doigts.

— Ça marche ! dit Jag. Le contrôle n’est pas parfait, mais bien meilleur qu’avant. La bombe a passé les arbres… Bien, Kyp, on s’améliore. Tout droit, lentement… Arrête. Pose-la. Impec. Nous sommes en plein sur le chemin du rakamat. Je le vois maintenant… il y en a un autre, à tribord. Le plus proche est à environ trente mètres, le second une vingtaine de mètres derrière…

— Passons à la deuxième bombe, ordonna Jaina.

 

Reth conduisit son escadron à l’assaut en jurant. Il avait perdu deux chasseurs dans l’attaque précédente… L’un avait explosé en plein vol, l’autre, moteurs touchés, avait dû rentrer à la base. Il lui en restait huit.

Les Yuuzhan Vong avançaient dans sa zone de tir : les troupes reptiliennes, les coraux-skippers et les rakamats… Mais le feu des chasseurs de la Nouvelle République était absorbé sans causer de dommages. Et maintenant, les coraux-skippers prenaient de l’altitude pour les attaquer.

Il y en avait beaucoup. Des dizaines. Des centaines de milliers d’esclaves reptiliens. Et le rakamat. Un escadron d’ailes E n’allait pas suffire à la tâche.

Il passa sur la fréquence du quartier général.

— Contrôle, ici Leader Lune Noire. Les ennemis sont trop nombreux. Des renforts seraient les bienvenus.

Iella Wessiri lui répondit :

— Leader Lune Noire, ici contrôle. Toutes nos forces terrestres sont occupées. Utilisez une tactique défensive et rapprochez-vous de la base.

— Compris, contrôle.

Reth fit la grimace. Le combat s’annonçait mal. Comme à Hoth et sur Dantooine, la défaite allait être cuisante et les morts innombrables.

 

Jag regarda le reptilien qui venait d’apparaître devant son vaisseau. La bête resta figée, la bouche ouverte, puis évalua la taille de la griffe.

— Nous avons dix secondes avant que les Yuuzhan Vong n’apprennent notre présence, annonça Jag dans l’unité com.

— Alors sors de là. Reviens.

— Non. Il faudra plus de dix secondes avant que le rakamat soit en position. Je dois être précis…

— Reviens immédiatement, Jag ! Me fais-tu confiance ?

— Hé ! Tu n’as pas le droit d’utiliser mes propres arguments contre moi…

Le reptilien cria quelque chose en direction de la longue ligne de coraux-skippers. Jag activa ses boucliers et la griffe commença à vibrer. Il la fit rouler en arrière puis tourner autour de son axe avant de lancer ses moteurs à pleine puissance.

L’endroit où il était quelques fractions de seconde plus tôt explosa sous les décharges de plasma. Les arbres, autour, gémirent tandis que les coraux-skippers partaient en chasse.

Jaina laissa son esprit glisser sur la jungle, sentant tous les êtres qui y vivaient.

Les insectes, les lézards et tous les animaux natifs de Borleias réagissaient aux bruits de pas monstrueux du rakamat…

Elle sentait aussi, dans un coin différent de son esprit, la présence de la bombe qu’elle contrôlait.

Enfin les deux perceptions se rejoignirent.

Kyp l’appela dans la Force.

— Attends, souffla-t-elle.

Plus près… plus près…

La peur des petits animaux augmenta…

— Maintenant !

Les deux bombes explosèrent. Plus loin dans la jungle, une gerbe de feu monta vers le ciel, propulsant les tonnes de chair brûlée appartenant aux rakamats. L’onde de choc arracha les arbres, se perdit dans la forêt et mourut près des chasseurs de Kyp et de Jaina.

— Très bien, Soleils Jumeaux, dit-elle. Allez, remontons et montrons aux survivants de quel bois on se chauffe…

— Soleils Jumeaux, ici contrôle. (La voix de Wedge.) Négatif. Reculez. Reculez tout de suite.

— Compris, contrôle. (Jaina prit sa voix de déesse la plus offensée et ajouta :) Nous voulons savoir pourquoi on nous demande de revenir alors que nous gagnons.

— Parce que vous retardez l’avance des Yuuzhan Vong.

Jaina en perdit ses manières de déesse.

— Quoi ? Bon sang, je croyais que c’était ce que nous étions censés faire !

— Comme d’habitude, vous êtes trop efficace…